Basile Lourié

UN AUTRE MONOTHÉLISME : LE CAS DE CONSTANTIN D’APAMÉE AU VIe  CONCILE OECUMÉNIQUE*

Nos considérations seront grouppées autour d’un incident qui a eu lieu à la XVIe session du VIe  Concile Oecuménique le 9 août 681. Un prêtre Constantin, natif d’Apamée, syrien qui à  peine s’expliquait en grec, après de longs efforts a obtenu enfin le droit de présenter au St.Concile son projet d’union entre les deux parties, à savoir entre les monothélites et les orthodoxes. On sait que ceci ne servit à rien sinon à la condamnation de l’auteur du projet lui-même.[i] Mais depuis longtemps[ii] cet épisode est un objet d’attention pour les historiens de Bulgarie à cause de son contexte politique: l’avantage recherché par Constantin était la paix avec  une “Bulgarie” dont le nom n’a jamais figuré dans les sources grecques auparavant. Je viens de consacrer une étude à toutes les circonstances historiques de l’affaire.[iii] Ce que je voudrais faire maintenant, c’est  examiner le contenu doctrinal du projet de Constantin.

1.  Monothélisme de Constantin d’Apamée

 

En s’efforçant “dès le début”  (p.696.1) du Concile d’y prendre la parole, sans être toutefois un membre  d’aucune délégation ecclésiastique, ce Constantin  avait peu de chances de succès. De plus, le Concile prit un cours défavorable pour les monothélites. Mais il semble que la condamnation de Macaire d’Antioche avec ses partisans, ce qui constitué un échec total pour la partie monothélite dans l’Empire Byzantin, n’ait fait que stimuler Constantin. Bien qu’il ait été en communion avec Macaire (c’est qu’il a constaté lui-même: p.700.8-11; cf. ci-dessous). En effet, c’est précisement lorsque la défense du monothélisme devient une affaire perdue que nous rencontrons Constantin à l’ambon devant les Pères du Concile. Quant à ceux-ci, il est facile de les comprendre: ils ont été forcés sous la pression de la situation politique. C’est un membre important du Concile le patrice Théodore qui protégeait Constantin en espérant encore tirer un profit de sa proposition en faveur de la pacification du thème de Thrace dont il était nommé le chef. Mais Constantin? Ne percevait-il pas qu’aucune pression politique ne serait capable de forcer les Pères d’adopter une doctrine qui ne cadrerait pas avec leur compréhension de l’orthodoxie?

Ma  réponse sera la suivante. Bien sûr, Constantin tenait grand compte de la faiblesse de l’attitude doctrinale de Macaire d’Antioche (c’est-à-dire celle que nous pourrions nommer le monothélisme “classique”), surtout au point de vue de la tradition chalcédonienne.[iv] Mais il avait des raisons de penser que son attitude propre aurait plus de points d’accord avec les Pères, c’est-à-dire, il se la présentait à lui-même en accord avec un langage théologique antérieur - non-maximien, évidemment, mais pas moins autorisé. Une restitution possible de ce langage sera le but de l’étude présente. Bien que la marque de l’hérésie ait été beaucoup plus nette pour la doctrine de Constantin que pour celle de Macaire, au point que les Pères surprits l’ont condamné comme “le nouveau manichée” (même pas comme un monothélite![v] ), son arrière-plan dogmatique était à l’époque aussi solide que personne ne le pensait.

Le cœur de la doctrine de Constantin, c’était l’idée de la Résurrection du Christ comme un échange du corps.[vi] Certes, la nature humaine du Christ avait sa “volonté naturelle” - mais seulement “dès le sein jusqu’à la Croix” (p.698.7-9). Quoi donc après (cf. p.698.11-12)? - “OÜk ™meine metaÜtoã [sc., avec le Christ. - V.L.] tØ ¦nqrëpinon qžlhma, ¦ll™meine metª toã a‰matoj ka‹ tÅj sarkÕj” (p. 698.14-21).[vii] Enfin, après la question directe sur l’existence de la chair et du sang dans le Christ ressuscité, Constantin dit: ’ApedÝsato aÜtÕ (p.698.25; cf. ll.22-24 et, dans le texte latin: “Exuit eam” (p.699.26)). Les Pères perplexes repètent la question, avec la même réaction (p.698.26-28, 700.1-2). Et, pour la troisième fois: “A-t-il enlevé la volonté humaine en même temps que la chair?” - “Oui, Monseigneur, la volonté de celle-ci” (p.700.3-6).[viii]

Désormais l’idée est claire, mais il reste encore un point important à établir: “Macaire qui était le patriarche d’Antioche, avait-il la foi en ce que tu dis?” (p.700.8). La réponse de Constantin est maintenant évasive quoique affirmative:  “Oui, Monseigneur, il dit comme moi: je dis ‘unique volonté’, je l’ai entendu dire de Macaire” (p.700.10-11).[ix] C’est après cet échange que Constantin fut frappé d’anathème. Comme nous l’avons vu, les Pères ont refusé d’identifier son attitude avec l’hérésie de Macaire d’Antioche.

Pour l’historien, la doctrine de Constantin pose des problèmes à deux niveaux. D’abord, l’idée d’une résurrection dans la chair (on ne dit jamais de la résurrection de l’âme séparée), mais sans la chair terrestre. Et ensuite, l’”unique volonté” dans  cet organisme ressuscité. Aux deux niveaux, la doctrine peut être examinée dans son contexte historique. À l’époque, l’opinion de Constantin fut loin d’être singulière, et la réaction des Pères, quoique sincère, était en effet provoquée par leur conception de l’histoire récente de la théologie plutôt que par l’histoire réelle. Cette différence entre la conception historique confirmée par le VIe  Concile Oecuménique et l’histoire réelle trop simplifiée par celui-ci, sera l’objet central de notre étude.  C’est pourquoi c’est le deuxième niveau de recherche qui a attiré notre attention. Quant au premier niveau, nous nous permettrons de nous limiter à y planter les jalons les plus nécessaires.

2.         Constantin d’Apamée et patriarche Eutychios de Constantinople

2.1.      Nominalisme “trithéiste” d’Eutychios

Le reproche de manichéisme fait à Constantin par le Concile est à comprendre dans son sens actuel pour l’hérésiologie byzantine. Il s’agit  donc d’une doctrine niant la compréhension orthodoxe de la réalité de la résurrection de la chair, c’est qui n’implique aucune négation explicite. D’ailleurs nous connaissons des témoins d’une pareille doctrine dans la période antérieure, entre les chalcédoniens et les sévériens.

C’est dans le champ des sévériens du VIe siècle où nous rencontrons le plus célebre représentatif de la doctrine en question, Jean Philopon, que ses opinions ont amené au schisme dans sa propre secte des trithéistes. Son affaire est assez connue et ses œuvres subsistent en syriaque.[x] Mais la doctrine chalcédonienne de Constantin n’est pas réductible au monophysisme de Philopon. Il faut en chercher les précédents dans le milieu chalcédonien. Or, ce domaine est plus obscur. Toutefois le nom d’un personnage important qui a été condamné pour adhésion à l’hérésie de Philopon à propos de la Résurrection est connu. C’est le patriarche Eutychios de Constantinople (552-565, 577-582), deux (ou, du moins, deuxième) fois déposé pour hérésie et ayant fini par fair pénitence et devenir saint. Son affaire dans ses aspects doctrinaux est connue surtout grâce aux Moralia du saint Pape Grégoire le Dialogue, car c’est lui qui était l’antagoniste principal d’Eutychios avant sa déposition définitive.[xi] À partir des Moralia on voit clairement que, selon Eutychios comme selon Philopon, le corps du Christ ressuscité est devenu déifié dans le sens de la disparition des qualités de la nature humaine substituées par celles de la nature divine; il s’agit d’un véritable échangement de corps.[xii] Mais la structure interne de la doctrine reste inaccessible si on ne se refère pas à un traité d’Eutychios lui-même lequel ne subsiste qu’en arménien.[xiii] Maleureusement, personne n’a exploité les richesses conceptuelles de ce traité depuis qu’il a été publié en 1969, et moi-même, je ne pourrai pas le faire dans le cadre de cette étude. Pour le moment, je ne m’intéresse que de la mesure dans laquelle Eutychios a accepté les vues de Philopon, et précisement au fait qu’il est allé jusqu’au “nominalisme” trithéiste, répétant la thèse scandaleuse que les personnes de la Sainte Trinité auraient entre elles autant de commun que trois hommes.[xiv] Il ne s’est même pas arrêté devant l’expression explicite du “nominalisme” traitant les natures comme des notions abstraites[xv]  et s’est permis d’entreprendre une attaque contre la compréhension “réaliste” de la nature en l’identifiant avec l’introduction d’une quatrième hypostase[xvi].

2.2.      Traitement “nominaliste” de l’union des deux natures dans le Christ

L’approche nominaliste de quelque sorte qu’elle soit ne peut jamais éviter des problèmes graves dans la christologie si on n’a pas pour but de priver l’union des deux natures de son sens réel. Évidemment, tel était le cas d’Eutychios.

C’est pourquoi nous trouvons chez lui une affirmation paradoxale pour un auteur chalcédonien, à savoir que les deux natures du Christ, ne sont pas les natures communes et tout entières, mais seulement les natures particulières. Les deux natures du Christ ne sont pas les natures (bnoujiunq) “universelles et communes (oc %endfanrakanaz ;u fasarakaz), parceque le Christ n’est pas entièrement la nature divine et n’est pas non plus en entier la nature humaine [...].”[xvii] On n’a pas besoin de témoignages contraires; non seulement, Eutychios contredit une doctrine fondamentale de l’orthodoxie (cf. surtout la polémique orthodoxe contre le second iconoclasme), mais, ici, il prit le partie de Sévère d’Antioche contre le polémiste orthodoxe Jean le Grammarien, bien qu’il fasse lui-même, dans le même traité, une référence négative au Contra impium Grammaticum de Sévère![xviii]

Cette attitude d’Eutychios avait un contexte polémique. Dans le cas cité, il dit lui-même que “certains” pensent autrement et, une fois, il nous donne un repère précieux, en nommant ses adversaires “phantasiastes” (le Christ soit la nature divine toute entière “d’après certains phantasiastes (orphs omanz bandagou,;loz)”.[xix] Qui étaient ces “phantasiastes” que Eutychios avait devant lui, tout le monde le sait: ce ne fut pas autre que le St.Empereur Justinien le Grand.[xx]

Les lumières jettées sur le prétendu “aphthartodocétisme” du St.Justinien ne sont pour nous qu’un effet secondaire. Ce qui sera important pour la suite, c’est le fait que la notion de la nature divine dans le Christ chez Eutychios ne fut pas orthodoxe, mais était en accord parfait avec Sévère (aussi que tous les monophysites et nestoriens).

2.3.      Doctrine monothélite chez Eutychios

Dans le ch.7 de son traité Eutychios dit à propos du Christ que la dualité des composants dans le composé laisse se voir “...au moyen des simples volontés et énergies (i $;-n pargiz [= ¥plñn] ,arvmanz ;u agd;zouj;anz)”[xxi]. Le sens de la phrase devient plus controlable grâce à l’apport d’un autre traité d’Eutychios dont un fragment subsiste en grec.[xxii]

Traitant l’état des âmes humaines lorsqu’elles seront liberées de leurs corps par la mort et deviendront égales aux anges, Eutychios fait un usage nouveau de la thèse ancienne de St.Basile (òn fÝsij mˆa, toÝtwn ka‹ nžrgeiai a† aÜtaˆ), en la généralisant jusqu’à “òn  d¡ kat§stasij mˆa ka‹ ÓmoŽa, toÝtwn ka‹ ½ nžrgeia ½ aÜt¿”.[xxiii] Il ne nous reste maintenant que d’appliquer cette thèse à l’humanité ressuscitée du Seigneur, telle qu’Eutychios l’imaginait. Celle-ci ne saurait avoir aucune autre “kat§stasij” sinon divine, c’est qui implique de l’unité et l’unicité de l’énergie divine.

Nous voyons maintenant que notre Constantin d’Apamée ne fut qu’un port-parole fidèle de la christologie du patriarche Eutychios. Cette doctrine a eu elle-même une pré-histoire[xxiv] et une longue survie dans certains milieux byzantins.[xxv] En effet, la  deuxième déposition d’Eutychios n’a pas donné lieu à un procès assez grand pour éteindre l’hérésie. Quoi qu’il en soit, son hagiographe continuait de partager ses opinions hérétiques.[xxvi] Mais il ne sera pas moins important de noter que le langage monothélite comme tel n’a aucun lien spécifique avec cette christologie. Il semble beaucoup plus probable que la forme “monothélite” ait été aussi traditionelle que, par exemple, le langage chalcédonien.

Ce qu’il reste encore à établir, c’est la possibilité d’un lien direct entre la doctrine monothélite de Constantin d’Apamée et les formulations d’Eutychios. D’où provient le langage monothélite de Constantin? Appartennait-il au noyau central de sa doctrine de la Résurrection ou bien a-t-il été surajouté plus tard au substrat emprunté à Eutychios? Il faut nous rendre compte de ce que signifie la possibilité de la dependance à l’égard d’Eutychios.

Le patriarche Eutychios a été un champion du Ve Concile Oecuménique. Son attitude christologique  personnelle en ce qui concerne les points éclaircis par le Concile n’aurait su être que celle du Concile. Or, s’il adoptait le langage monothélite, quoique sans implications hérétiques du monothélisme postérieur, nous sommes en présence d’une autre alternative: soit tel était le langage du Concile, soit le Concile gardait le silence à propos des volontés dans le Christ.

Toutes ces possibilités n’ont en elles-mêmes rien d’impossible a priori. Le langage monothélite, ce qu’il faut souligner, n’avait aucune implication monophysite, mais constituait une manière de parler commune aux monophysites et aux nestoriens qui l’ont adoptée même avant Nestorios, à l’époque de Théodore de Mopsueste qui suivait lui-même un usage plus ancien.[xxvii] Les données récentes prouvent que tel était aussi le langage commun des orthodoxes du patriarchat d’Antioche.[xxviii] D’ailleurs, durant le VIe siècle le langage dyothélite de Léonce de Jérusalem ne se laisse guère repérer en-dehors de Palestine.[xxix] La situation à Constantinople reste encore à discuter.

Mais ce qu’il faut faire en tout cas, c’est de savoir si la doctrine du Ve Concile sur les volontés dans le Christ a effectivement existé.

3.         La volonté dans le Christ: le cas des agnoètes à l’époque du Ve Concile Oecuménique

Nous disposons de plusieurs témoins sur l’usage du langage monothélite au Ve Concile. Mais les Pères du Concile suivant qui avaient devant eux les testimonia allégués par les monothélites, n’en connaissaient pas moins que nous. Le problème se pose donc à d’examiner l’authenticité des témoignages partiaux des monothélites et de rechercher des témoins indépendants.

Quant à ces derniers, on se souvient immédiatement des deux lettres du Pape Vigile conservées dans les Actes latins du Ve Concile, où ce Pape qui résistait même à la condamnation des Trois Chapitres[xxx] applique librement l’expression “volonté unique” au Christ, et frappe d’anathème ceux qui pensent autrement. On a beaucoup écrit sur l’inauthenticité de ces lectures, mais souvent avec des préjugées.[xxxi] Il faudrait pourtant expliquer à quels milieux occidentaux  (où le monothélisme n’avait jamais des positions fortes) on pourrait attribuer la tradition manuscrite des textes dans lesquels on prétend voir le monothélisme.[xxxii] En fait, cette tradition s’avère exister plusieurs siècles (du VIe au IXe du moins).

Pour finir par un autre témoignage orthodoxe nous abordons maintenant le dossier monothélite du Ve Concile Oecuménique, ce qui nous permettra de saisir la perspective générale dans laquelle ce Concile s’occupait du problème de l’unicité du sujet dans le Christ. 

Un florilège monothélite en syriaque contient le document le plus important. Le florilège cite un “Édit” (mNY}[K[A) du St.Empereur Justinien contre les agnoètes: “[...] Mais la sainte âme du Logos possédait en soi la connaissance entière du Logos duquel elle était l’âme, parce que la volonté entière de la divinité est dans le Christ [...]”.[xxxiii] L’édit n’est d’ailleurs pas daté. Mais nous disposons d’un autre document permettant de l’attribuer à l’époque du Ve Concile.

Une source monothélite, cette fois, inconnue, est parvenue à travers une compilation d’un certain jacobite  Siméon de Qennešrin, disparue elle-aussi, est citée par des chronistes jacobites postérieurs, en particulier par Michel le Syrien. C’est lui qui nous fournit le passage suivant[xxxiv]: “[...] le patriarche Mennas réunit le Cinquième synode et anathématisa quiconque professe deux volontés ou deux énergies dans le Christ. Il anathématisa aussi l’impie Théodore de Mopsueste, des écrits impurs duquel s’inspirait cette opinion. Le synode anathématisa encore l’hérésie des agnoètes (@V[²OkF@)[xxxv] qui admettent, eux aussi, deux volontés et deux énergies”. L’anathématisation des agnoètes au Ve  Concile n’est pas confirmée directement par les autres sources dont la plus importante est pour nous la confession de Macaire d’Antioche devant le VIe Concile. Il fait mention de la condamnation de Thémistios (fondateur de l’agnoétisme) en dernière place après Sévère et Julien, mais avant de commencer d’énumérer les autres anathématismes explicitement attribuées au Ve Concile.[xxxvi] Quoi qu’il en soit, la date de l’époque du Ve Concile (avec une période préparative) se trouve confirmée.

On voit que dans l’édit de St.Justinien l’unique volonté divine est l’unique volonté du Christ, c’est qui garantit en lui l’unité du sujet dans lequel n’aurait pas lieu la dualité des consciences du Fils de Dieu et de l’homme. Cette unité du sujet était, comme on sait, un lieu commun de la polémique  contre les agnoètes. En même temps, c’était le thème général de la polémique contre les partisans des Trois Chapitres. Réunir les deux discussions contre les adversaires de l’unité du sujet dans le Christ au même concile semble très naturel. Si le thème anti-agnoétique n’est pas aussi expressif chez les orthodoxes que chez les monothélites, c’est qu’il y a des raisons.

La même conclusion sur la manière de parler à propos de l’unité de la conscience du Christ avant le monothélisme vient des discussions entre les orthodoxes et les monothélites. Dans l’argumentation de ceux-ci, c’est le problème de l’unité de conscience (—[t‚‡ = gnëmh) qui fait de la doctrine dyothélite soit une séparation dans le Christ (c’est qui serait une contradition à Maxime lui-même), soit, si on veut nier l’existence de la gnëmh dans la volonté humaine, une opinion d’ésprit apollinariste abaissant celle-ci jusqu’à la nature animale[xxxvii]

Mais voyons encore quelques textes, cette fois, orthodoxes.

D’abord, une place à part réservée à l’agnoétisme dans la liste des hérésies anathématisées par le VIe  Concile Oecuménique.    Semble-t-il, il s’agit d’un des fondements communs de la discussion dogmatique.[xxxviii]

Et enfin, citons un texte prouvant l’existence de la tradition de parler de l’unique volonté dans le Christ dans l’entourage du St.Empereur Justinien le Grand à la veille du Ve Concile Oecuménique. Il  s’agit d’un témoignage du Pseudo-Césaire dans une œuvre qui n’était point originale par sa substance littéraire et utilisait, dans ce cas, St.Épiphane de Chypre. Cependant c’est  surtout le changement de contexte qui apportera des nouvelles connotations théologiques.

L’auteur pose une série de questions sur la connaisance du Christ (nos. de 15 à 21[xxxix]). L’époque du Pseudo-Césaire indique définitivement que chez lui, ces questions répliquent à Thémistios. C’est dans ce but que l’auteur revient à l’argumentation de St.Épiphane élaborée dans les discussions anti-ariennes.[xl]

St.Épiphane distinguait entre deux modes de connaissance: l’une, katª eŠdhsin et l’autre, katª  nžrgeian ou katª pr­xin , les deux derniers termes étant synonymiques.[xli] Ceci lui permet de passer directement à la distinction entre la connaissance du Père et celle du Fils. La connaissance du Père est selon les deux modes, tandis que le Fils, lui aussi sachant toutes les choses sans l’exception du Jour de jugement dernier, n’a pas encore appris la connaissance “pratique” de ce Jour, car Il ne juge pas encore. Quant au Père, Il a même la connaissance “pratique” du Jour parcequ’”Il a déjà jugé, ayant ordonné au Fils de juger”.[xlii] Le Fils, d’après St.Épiphane, n’a pas encore la connaissance “énergétique” ou “pratique”, mais le terme energeia a ici le même sens que la praxis ou, selon la terminologie byzantine postérieure, l’™rgon (et non l’nžrgeia!).

Le cas du Pseudo-Césaire est bien différent. Résumant la pensée ci-dessus de St.Épiphane il fait une réserve importante: nous ne disons pas, dit-il, que la connaissance du Père est différente de celle du Fils et de l’Ésprit-Saint, mais nous acceptons que celle de Celui-ci soit “pratiquée” (pracqžn), tandis que celle de Ceux-là soit “thésaurisée” (ou “cachée”: tamieuÕmenon). Mais le Fils dispose Lui-aussi des deux modes de connaissance, “étant égal au Père par connaissance eidétique et par pratique créatrice, mais non par celle du jugement”[xliii]. Le jugement pas encore actualisé ne fait désormais aucun obstacle à attribuer au Fils la connaissance par énergie (désignée ici “par pratique”, ce qui veut dire la même chose dans la terminologie épiphanienne comme presque partout). Le Pseudo-Césaire replace l’accent de l’™rgon à l’nžrgeia (ou  pr§xij).

Il n’y a rien de nouveau dans le contenu trinitaire. L’unique pratique ou énergie de toutes les personnes de la Sainte-Trinité est ici une chose qui va de soi (en dépit de tout arianisme). Mais nous sommes en présence d’une thèse généralisée sur la christologie. Pas simplement la connaissance du Fils, mais c’est la connaissance du Christ qui est commune à Lui et au Père, ayant donc les deux modes de connaissance communs, y compris celui de la “pratique”.

La conceptionion de l’unique “pratique” du Christ est déjà née, le mot “pratique” étant identifié avec “énergie” auparavant (chez St.Épiphane) ou, peut-on dire, ayant été toujours synonyme. Ce n’est pas l’idée de l’unique “pratique/énergie” du Christ unique qui apporte  ici vraiment du nouveau, car, on le sait, telle était une des terminologies anciennes. Mais chez le Pseudo-Césaire, on fait un pas suivant. La “pratique” unique du Christ est présentée à titre de notion positive qui garantit l’unité du sujet divin ou, précisement, de la conscience divine du Dieu-Fils incarné. C’est le fondement théologique de l’édit de St.Justinien contre les agnoètes. Évidemment, c’est encore la doctrine du Ve Concile Oecuménique sur le “Moi” du Christ qu’on peut nommer le contenu intérieur de la christologie dont la dimension “fonctionelle” était présentée par l’interprétation de la formule “Dieu souffrit dans la chair”.

4.         Conclusions

 

L’enquête entreprise était assez courte, mais suffisement ample pour fair saisir le climat de l’époque de la résistance orthodoxe à une hérésie qu’on pourrait nommer un chaînon perdu dans l’historiographie de l’histoire des idées aux Conciles Oecuméniques. Ce qu’il faut souligner, c’est le fait que si une période de la résistance à l’agnoétisme avec un langage “monothélite” ne précéderait pas l’apparition du monothélisme, la génèse du dogme monothélite devient impossible. Qu’on se souvienne que l’idée historiographique vieillie de n’y voir qu’un sémi-monophysisme se basait sur une erreure grave à propos du dogme nestorien dont tout le monde ignorait le langage non moins “monothélite”. Aussi comme dans tous les cas des hérésies les plus grandes, le monothélisme s’est développé réellement de l’interieur des formes traditionelles de la doctrine orthodoxe, c’est-à-dire, de l’adoration de la lettre au lieu de l’Ésprit.

Les décennies de la prédominance politique des monothélites sur les orthodoxes feront que sur toute la documentation officielle sur le Ve Concile Oecuménique tomberont les soupçons de l’inauthenticité. Il me semble que c’est ici où il faut chercher la cause de la disparition à peu près totale des documents grecs de ce Concile. Les Pères du VIe Concile sont resté fidèles à la substance de la doctrine sur l’unique “Moi” du Fils de Dieu dans le Christ quoiqu’ayant la formulée de façon plus nuancée (s’appuyant - sans le dire - sur la doctrine de St.Maxime le Confesseur de l’unique gnëmh et l’unique proaˆrhsij dans le Christ. C’est le terme proaˆrhsij qui serait l’equivalent maximien à la “pratique/énergie/volonté” de l’époque du Ve Concile). Les rélations mutuelles entre les deux Conciles Oecuméniques, le VIe et le Ve, reproduisaient le rapport de la doctrine du Concile de Chalcédoine à celle du St.Cyrille d’Alexandrie (dont le langage particulier de “l’unique nature” ne fut pas accepté en Éphèse comme officiel), sauf l’unique excéption importante: vers la fin du VIIe siècle,  la distance historique plus difficile à surmonter fit tomber dans l’oublie le materiel conceptionuel qui était utile à l’Orthodoxie au siècle précédent.[xliv]

Le cas de Constantin d’Apamée serait toutefois fort intéressant en soi, spéciallement pour tracer la survie de la doctrine d’Eutychios de la Résurrection, c’est qui, malheureusement, dépasse les limites d’un article.[xlv]

      



* Le thème de cette étude a été le dernier que j’ai pu discuter avec mon maître, le Père Jean Meyendorff († 1992),  à la mémoire duquel elle est dédiée.  Je remercie cordialement le P. M.van Esbroeck, s.j.,  pour ses consultations très instructives.  Je remercie encore tous ceux qui m’ont aidé de présenter ce travail à la XIIe Conference d’études patristiques en Oxford: Dr Elisabeth Livingstone, The Fellowship of St.Alban and St.Sergius, The Anglican and Eastern Churches Association, Mme Élisabèthe Obolénsky,  Rev. G.Woolfenden, Mgr Basil Osborn, Bishop of  Sergievo.

[i] V. éditon critique des textes grec et latin: Concilium Universale Constantinopolitanum tertivm. Concilii actiones XII - XVIII. Epistvlae. Indices. Ed. R. Riedinger. Berolini 1992 (ACO II 2, 2). 694-705.  Ensuite tous les Acta seront cités d’après cette édition critique (pour les actiones de I à XI v. ACO II 2, 1 (1990), p.1-513) avec l’indication des pages et des lignes du texte grec ou latin dans le texte (les numéros de pages correspondants à la partie 2 de l’édition  sont de 514 à 907).

[ii] Depuis Yu.Kulakovskij (1915) et surtout  un savant bulgare Yurdan Trifonov (1932); v. la bibliographie dans Â.Ì.Ëóðüå.  Îêîëî “Ñîëóíñêîé ëåãåíäû”.  Èç èñòîðèè ìèññèîíåðñòâà â ïåðèîä ìîíîôåëèòñêîé óíèè, Ñëàâÿíå è èõ ñîñåäè   6 (1995) (à paraître).

[iii] Â.Ì.Ëóðüå, op.cit. À mon avis, il s’agit d’un épisode fort important. Ce Constantin était un représentatif de la mission des syriens monothélites  chez les proto-bulgares  et slaves de Macédonie, fondée à la même époque par un autre syrien, un Cyrille, héros de la soi-disante “Légende de Théssalonique” slavonne.

[iv] Parce que dans la suite j’essayerai de faire voir que la vraie distance entre les deux “chalcédonismes”, monothélite et non-monothélite, était beaucoup plus courte qu’on en pense habituellement, il faut préciser ici  que je vois surtout l’affinité spécifique entre la doctrine du monothélisme “classique” et celle des sévériens de la Syrie de la fin du VIe  siècle. Qu’on se rappele que l’union monothélite fut rejettée par tous les julianistes et même par les sévériens coptes avec leur patriarche Benjamin, sans poser toutefois des problèmes chez les sévériens syriens et même arméniens.

[v] P.700.17-19: AÞth ½ dÕxa tñn Manicaˆwn stˆn: aÞth ½ pˆstij Apollinarˆou stˆn: ¦n§qema aÜtü metª tñn dogm§twn aÜtoã: tü nžJ ManicaˆJ  ¦n§qema: tü nžJ ApollinarˆJ ¦n§qema: ™xw blhq¿tw Ó ManicaŽoj (cf.  texte latin,  p.701.17-19).

[vi]  On saurait tenté de poser le centre de sa doctrine dans l’ignorance, si on prend à la lettre une phrase de son exposé initielle restituée par l’éditeur dans le texte grec d’après le latin: “nam si uolueritis ediscere ueritatem bene, quid sit HYPOSTASIS, id est subsistentia Graece, nescio...” (p.697.21-22; cf. 696.21-22 et note dans l’apparat).  Peu vraisemblable que Constantin ait commencé aussi désavantageusement. Faut-il y supposer une trace d’une  note sur le rapport entre l’hypostase et l’idiome (cf. p.696.19-21)? En tout cas, le passage entier ne qu’un résumé tros succinct.

[vii] Cf. p. 699.14-22: Non mansit cum eo humana uoluntas, sed mansit cum sanguine et carne, quia non indiget neque comedere neque bibere neque dormire neque ambulare [...]. Christus deseruit et exuit eam [sc., “uoluntatem humanitas eius”. - V.L.] cum carne et sanguine.

[viii] P.700.4: Ka‹ tØ ¦nqrëpinon qžlhma sunapedÝsato  [lat. “simul exuit”, p.701.4] tÐ sarkˆ;  P.700.6: Naˆ, džspota,  tÂn qžlhsin keˆnhn.

[ix] Naˆ, džspota, éj gî lžgw {¢n qžlhma}, oÞtwj ka‹ Mak§rioj  ™legen, oÞtwj gªr ka‹ Ákousa x aÜtoã.

[x]  A.Šanda. Opuscula monophysitica Ioannis Philoponi. Beryti Phoeniciorum 1930. A.Van Roey. Un traité cononite contre la doctrine de Jean Philopon sur la résurrection, dans ANTIDWRON. Hulde aan Dr.Maurits Geerard bij de voltooiing van de Clavis Patrum Graecorum. I. Wetteren 1984. 123-139. Pour résumé des recherches récentes: J.Paramelle. Christianisme byzantin, École Pratique des Hautes Études. Annuaire. Ve sect.. XCI (1982-1983) 407-415, spéc.408-410.

[xi]  Cf. R.Janin. Eutichios, Bibliotheca Sanctorum, V. Roma 1964. 323-324. P.Allen. Neo-chalcedonism and the patriarchs of the late sixth century, Byz 50 (1980) 5-17. Eadem. Evagrius Scholasticus the Church Historian. Leuven 1981 (SSL 41). 27-32.

[xii]  Moralia, lib.14, cap.56, 72-73, PL 75, 1077C-1079A: Error Eutychii, corpus impalpabile aereque subtilis futurum asserentis refellitur. Cf. ibid., 74,  PL 75, 1079BD: Eutychii librum flammis addicire cogitat imperator (Tibérios. - V.L.).  Morito Eutychius, abjurato errore.                      

[xiii] CPG 6940. Éd. et trad. ital.: P.Ananian. L’opusculo di Eutichio patriarca di Costantinopoli sulla “Distinzione della natura e persona”,   dans Armeniaca. Mélanges d’études arméniennes. Vénise 1969. 316-354 (en arménien), 355-382 (trad. italienne qui n’est pas toujours correcte). Cf. C.C.Àðåâøàòÿí. Ôîðìèðîâàíèå ôèëîñîôñêîé íàóêè â äðåâíåé Àðìåíèè. Åðåâàí 1973, répété dans S.S.Arevšatyan. Le “Livre des êtres” et la question de l’appartenance de deux lettres dogmatiques anciennes, Revue des études arméniennes, n.s., 18 (1984) 23-32 (pour situation de la traduction arménienne dans la soi-disante “école grécophile”; l’auteur ignore tout le contenu dogmatique, c’est qui rend ces raisons “philosophiques” peu convaincables).

[xiv] Cf.: ch.2, p.333.71-72: “Mais on ne dit pas que Pierre et Paul sont deux hommes, car ni Pierre ni Paule, ce n’est pas le commun (fasarakajiun)”; ch.3, p.339.262-266: “En effet, nous disons `un homme Pierre’ et `un homme Paul’ et un homme Timothée’ parcequ’il faut ajouter le commun au particulier (part h xfasarakn %atkin fshzouzan;l). Et nous ne disons pas `trois hommes’ parceque ce n’est pas que l’humanité soit selon chacun (oc  mardkouqiuns est iuraqanciursn), et ils ne sont pas l’un de l’autre par leur être (go%ouj;amb), mais parceque le commun (xfasarakn) se trouve dans chacun”. C’est la perspective à discuter l’unité des trois hypostases divines: “La Sainte et consubstantielle Trinité n’est pas donc (ard) trois dieux...” (ibid., ch.3; p.335.141). La réserve ici faite, que “nous disons à propos du Dieu d’une autre manière que des hommes (oc orphs i w;ra% mardkan)” (p.336.149) ne servit qu’à éviter le sens littéral de l’identification de l’unité de la nature divine avec celle de l’humaine (cf. p.336.149-163). Le thème du “trithéisme” chez Eutychios ne fut pas noté dans la meilleure étude sommaire: A.Grillmeier. Jesus der Christus im Glauben der Kirche. Bd.2/2. Die Kirche von Konstantinopel im 6. Jahrhundert. Unter Mitarbeit von Th.Hainthaler. Freiburg - Basel - Wien 1989. 512-514 (sur Eutychios).

[xv] L’essence de cette doctrine est dans le fait que pas seulement l’union des natures ne soit acceptable qu’en théoria, mais la nature elle-même s’appartient au domaine de théoria, ou celui des notions (arm. $a%n chez Eutychios, ch.7: le Christ est deux natures “pour être considéré dans deux notions de nature [orphs... t;sani %;rkouz bnoj;anz $a%niz]”, p.342.355-356; cf. tr.it., p.373, n’étant qu’une calque de fwn¿ “notion”). Pour les parallèles dans le champ monophysite [—E„Sh chez Philopon] cf. P.Bettiolo. Una raccolta di opuscoli calcedonensi (Ms. Sin. Syr.10). Louvain  1979 (CSCO 404/Syr.178). 19*.

[xvi] Ch.3, p.336.155-156; trad.ital., p.368. Pour le contexte v. n.14 ci-dessus.

[xvii] Ch.6, p.341.326-330; tr.it., p.372.

[xviii] Ch.15, p.351-352; tr.it., p.380. Bien sûr, la citation est faite pour la polémique anti-sévérienne. Pour la polémique sévérienne contre la doctrine orthodoxe de deux natures universelles dans le Christ, v.: J.Lebon. Severi Antiocheni Liber contra impium Grammaticum. Lovanii 1938 (CSCO 111-112/Syr 58-59). 166 sqq (texte), 130 sqq (tr.) (ch.18-19). Pour l’importance de ce point dans la tradition sévérienne vers l’époque d’Eutychios, v. citations dans: R.Y.Ebied, A.Van Roey, L.R.Wickham. Petri Callinicensis Patriarchae Antiocheni Tractatus contra Damianum. I. Turnhout - Leuven 1994. (CCG 29). 175, 243, 347 (tr.: 174, 242, 346).

[xix] Ch.6, p.341.333-334; tr.it., p.372.

[xx] On peut noter que tous les partisans d’Eutychios étaient extrêmement hostiles envers St.Empereur Justinien, c’est qui pourrai être important pour déterminer le vrai sens du dectret dit “aphthartodocétique” de celui-ci. C’est la reconstruction de son contenu proposée par Loofs et Grillmeier (cf. A.Grillmeier, p.489-495) qui me semble cadrer le mieux même avec les données dont ils ne se donnaient pas compte. Au point de vue de Constantinople, après le Ve Concile Oecuménique et  à l’époque du IIe  Concile de Dwin (555), c’étaient les julianistes arméniens qui constituaient  le danger principal (cf. M. van Esbroeck. Les trois formes de l’antichalcédonisme de 451 à 553 et ses répercussions dans le Caucase, dans A.Muraviev (éd.) Êóëüòóðíîå íàñëåäèå Õðèñòèàíñêîãî Âîñòîêà.    Òðóäû Ìåæäóíàðîäíîé êîíôåðåíöèè. Ìîñêâà  1995  (à paraître) et sa contribution dans le recueil présent). Or, ces julianistes appartenaient à une partie la plus radicale entre eux (et très éloignée de Julien lui-même), des soi-disants actistites. (Cf. déjà R.Draguet. Pièces de polémique antijulianiste. 3. L’Ordination frauduleuse de julianistes, Mus 54 (1941) 59-89, spéc.p.69,  et les articles du P. van Esbroeck cités dans cette note (mais surtout: Idem. Un court traité pseudo-basilien de mouvance aaronite conservé en arménien, Mus 100 (1987) 385-395) sur l’appartenance des julianistes du IIe   Concile de Dwin à cette partie-même. Malheureusement il est impossible de présenter ici le dossier complet sur le mouvement actistite; cf. encore Â.Ëóðüå.  Àââà Ãèéîðãèñ èç Ñàãëû è èñòîðèÿ þëèàíèçìà â Ýôèîïèè (à paraître)).  Les actistites croyaient le corps du Christ être incréé dès le moment de l’incarnation par le fait-même de l’union des deux natures. Les partisans de Philopon ou d’Eutychios pensaient que la même chose n’avait lieu qu’après la Résurrection. Il est facile de comprendre un interêt particulier envers la doctrine d’Eutychios à son temps et précisement parmi les arméniens qui ont entreprit la traduction de son œuvre. (Notons que tel était le contexte du décret énigmatique du Saint Empereur Justinien que les adversaires ont nommé “aphthartodocétique”, d’où proviennent certaines corrections aux opinions du P. van Esbroeck exprimées dans les articles cités plus haut).

 

[xxi]  P.342.363; cf. ll.358-363; tr.it., p.373.

[xxii] L.Allatius. De utrius ecclesiae occidentalis atque orientalis perpetua de dogmate de purgatorio consensione. Roma 1655. 433-434 (cité dans De statu animarum d’Eustratios de Constantinople (CPG  7522) dont le texte est édité ici). La nouvelle édition de C.Laga dans le CCG  ne m’était pas accessible.

[xxiii]  Ibid., p.434. Réference à St.Basile, Sur Ps.I.

[xxiv] Dans le contexte du VIe s., on le voit, elle rappele fortement les vues origénistes sauf la thèse la plus marquante coupée (car on ne dit plus de la pré-existence de l’humanité du Seigneur).  Or, telle était le cas des origénistes “protoctistes” unis avec les orthodoxes à la veille du Ve Concile Oecuménique. Cf. M. van Esbroeck. L’homélie de Pierre de Jérusalem et la fin de l’origénisme palestinien en 551, OCP (1985) 33-59.  Le P. Grillmeier, bien que tenant compte du mouvement “protoctiste”, n’a pas su l’intégrer dans sa présentation générale: cf. op.cit., p.422-430.

[xxv] Pour ne nommer qu’un cas le plus évident: Eustrace de Nicée, un “nominaliste” du XIIe s. En effet, la ligne de pensée d’Eutychios est sensible ensuite à travers les discussions christologiques des XI et XII ss. jusqu’à Barlaam le Calabrais.

[xxvi] Cf. surtout la Vie de St.Eutychios écrite par Eustratius de Constantinople vers 590s: PG 86/2, 2273-2390 (BHG 657 = CPG 7520) ainsi que son De statu animarum (note 22 ci-dessus). Malheureusement je ne pouvait pas consulter les travaux récents d’A.Cameron sur Eustratius, et la dissertation de C.Laga non plus. La même tendance chez Evagre le Scholastique (cf. note 11 ci-dessus).

[xxvii] Cf. surtout une série des travaux de F.Carcione: Enérgeia, Thélema e Theokínetos nella lettera di Sergio, patriarca di Costantinopoli, a papa Onorio Primo, OCP 51 (1985) 263-276; Sergio di Costantinopoli ed Onorio I nella controversia monotelita de VII secolo. Alcuni chiarimenti sulla dottrina e sul loro ruolo nella vicenda. Roma 1985 (Pontificia Università Lateranense. Ecclesia Mater, 4); La genesis storico-teologica del monotelismo maronita. Roma 1990 (deux derniers ne m’étaient pas encore accessibles). Pour le langage “monothélite” dans le nestorianisme postérieur v., par ex., P.Khoury. Paul d’Antioche, évêque melkite de Sidon (XIIe s.). Introd., éd. crit., trad. Beyrouth 1964 (Recherches publ. sous la direction de l’Institut de lettres orientales de Beyrouth, 24): Discours indiquant les sectes des chrétiens..., 8; p.#$ (arabe)/190 (trad.).  Les Pères du VIe Concile reconnaient ce “monothélisme” nestorien; cf. dans l’Édit de Constantin IV: p.846.3-9 (grec), cf. p.847.4-9 (lat.). Mais surtout v. un très bon florilège des textes de Théodore de Mopsuète, de Nestorius lui-même et des autres hérétiques anciens sur “l’unique” volonté dans le Christ dans les Actes du Concile de Lateran de 649:  Concilium Lateranense a.649 celebratum. Ed. R.Riedinger. Berolini 1984 (ACO II, I). 332-335 (“Testimonia diuidentium haereticorum”).

[xxviii]  Ajouter à la bibligraphie dans la note 27:  S.P.Brock. A Monothelete Florilegium in Syriac, dans C.Laga, J.A.Munitiz, L.Van Rompay (eds.) After Chalcedon. Studies in Theology and Church History. Leuven 1985 (OLA  18) 35-45 [= Idem. Studies in Syriac Christianity. History, Literature and Theology. London: Variorum Reprints. 1992. Ch.XIV], spéc. la discussion, p.44-45.

[xxix] Cf. A.Basdekis. Die Christologie des Leontius von Jerusalem.  Seine Logoslehre. Diss. 2 Bde. Münster 1974. Bien sûr, le langage  occidental  élaboré par S.Léon de Rome  était aussi dyothélite.

[xxx] E.Zettl. Die Bestätigung des V. Ökumenischen Konzils durch Papst Vigilius. Untersuchungen über die Echtheit der Briefe Scandala und Aetius. Bonn 1974 (Antiquitas, R.1, Abhandlungen zur alten Geschichte, 20).

[xxxi]  Concilium universale Constantinopolitanum sub Iustiniano habitum. Vol.I. Ed.J.Staub. Berolini 1971 (ACO IV 1). 187-188. Lettre à St.Justinien: “...qui non confitetur incarnatum deum verbum, id est Christum, esse unam subsistentiam et unam personam et unam operationem, anathematizamus” (p.187.31-32; cf. p.188.13-15). Une de deux lettres subsiste également en syriaque (dans un florilège monothélite: Brock, 36. Cf. encore ibid., p.37-38,  à propos de la lettre du patr. Ménas dont l’authenticité était contestée au VIe  Concile.   

[xxxii]  Cf. R.Devreesse. Le Cinquième Concile et l’œcuménicité byzantine, dans Miscellanea Giovanni Mercati. III. Città del Vaticano 1946 (Studi e Testi, 123). 1-15, spéc. p.11.

[xxxiii] S.P.Brock. A Monothelete..., p.39.  Sur l’authenticité possible et sur les agnoètes cf. ibid., p.39-40. Ajouter maintenant l’édition complète du dossier sévérien: A.Van Roey, P.Allen. Monophysite Texts of the Sixth Century. Edited, translated and annotated. Leuven 1994 (OLA 56). 1-102 (Part One: Texts against the Agnoetai). Un bon dossier dans R.Riedinger, p.397-400.

[xxxiv] Sur Siméon de Qennešrin chez les chronistes syriens jacobites v. S.P.Brock. An early Syriac Life of Maximus the Confessor, AB 91 (1973) 299-346 [= Idem. The Syriac Perspectives on the Late Antiquity. London: Variorum Reprints. 1984. Ch.XII], spéc. p.337-340. Citation (du livre XI, ch.9): J.B.Chabot. Chronique de Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche (1166-1199). Éditée pour la première fois et traduite en français. T.IV (Texte syriaque). Paris 1910. 425-426. Nous suivons la traduction de Chabot (un peu remaniée): Ibid. T.II. Paris 1901-1902. 435. Cf. trad. anglaise de Brock: op.cit., 338. Chez les sévériens, la condamnation des agnoètes devait avoir lieu sous Thédose d'Alexandrie vers 540s.

[xxxv]  Dans le texte @V[²OF@, corrigé par Chabot. Les doctrines reélles de Théodore et des agnoètes étaient “monothélites”.

[xxxvi] Act.VIII, p.228.9-10 (cf.229.9-10 lat.). Les mentions de la condamnation de Thémistios par les représentatifs de la partie orthodoxe implique une pareille époque; cf. la lettre synodale au Pape Agathon (où la séquence est Apollinaire, Sévère, Thémistios et Macaire d'Antioche: p.888.33-889.1 (grec seulement)), la lettre du Pape Léon à l’Empereur Constantin (...Timothée, Sévère, Thémistios, Origène, Dydime, Évagre: p.876.16 gr./877.13-14 lat.) et l’édit de Constantin Pogonate (Apollinaire, Eutychios, Sévère, Thémistios, ceux qui professent l’unique énergie et l’unique nature: p.846.10-13 gr./847.9-12 lat.; cf. p.834.3-6 gr./835.4-6 lat.).

[xxxvii] Cf. la première liste des questions monothélites adressées aux maximites entre les deux éditées par S.P.Brock. Two sets of monothelete questions to the Maximianists, OLP 17 (1986) 119-140 [= Idem. Studies... Ch.XV], quest. 4 (p.125 texte, 134-135 tr.anglaise), cf. quest. 13 (p.128 et 136) et, sur la terminologie, p.123-124.

[xxxviii]  Act.XVIII, p.772.13-14 gr./773.12-13 lat.; cf. Act.XVII, p.718.13-14 et 719.16-17 (lat. seulement), Act.XI, p.480.16-482.5 gr./481.16-483.5 lat.; cf. note 36 ci-dessus. Thémistios est toujours cité comme un hérétique reconnu: Act.X, p.370.6-16 gr./371.6-16 lat., 372.25-374.5 gr./373.21-375.5 lat.; Act.XI, p.506.19-24 gr./507.19-25 lat. Soit-il par hasard que les agnoètes chalcédoniens avaient leur centre dans la Palestine, à la même place que Léonce de Jérusalem? (Cf. St.Eulogios d’Alexandrie apud  St.Photios (CPG 6976.10), cité dans S.P.Brock. A Monothelete Florilegium..., p.39, n.12). Ceci pourrait impliquer l’existence d’une tradition locale de parler de “deux volontés”. Cette hypothèse peut être corroborée par une possibilté de l’origine palestinien du St.Maxime ou, du moins, par le fait qu’il était un élève du premier champion de la lutte anti-monothélite saint  patriarche de Jérusalem Sophrône.

[xxxix] Pseudo-Kaisairios. Die Erotapokriseis. Erstmals vollständig hrsg. von R.Riededinger. Berlin 1989 (GCS). 20-24 (les reférences suivantes dans le texte). Sur  l’époque de l’auteur (vers 543-553, Constantinople):  A.Grillmeier, p.380, 392-396, 421, accepté par R.Riedinger. Zu den Erotapokriseis des Pseudo-Kaisarios, Byzantinische Zeitschrift 86/87 (1993/1994) 34-39, spéc. p.35.

[xl] Cf. Epiphanius. Bd.I:  Ancoratus und Panarion, Haer. I-XXXIII. Hrsg. von K.Holl. Leipzig 1915 (GCS 25). 24-30 (Ancoratus 20-21), surtout 29-30. Cf. un lieu parallel dans Haer. LXIX, 43-47.

[xli]  Ancoratus 20, commencé par “...mˆa katª nžrgeian, ka‹ mˆa katª eŠdhsin” se finit par “...©llhn m¡n katª eŠdhsin, ©llhn d¡ katª pr­xin”.

[xlii] Ancoratus 21:  [...] `O d¡ U†Øj... oßpw d¡ aÜtÂn [sc., tÂn ½mžran]  ™praxe katª gnñsin, toutžsti katª pr­xin.  Cf. Haer. LXIX, 48.

[xliii] Erotapokrisis 21, p.24: [...] Šsa tü genn¿tori kateŠdhsin ka‹ pr­xin dhmiourgik¿n, oÜ mžntoi kritik¿n.

[xliv] La resistance au monothélisme qui prédétermina les formulations du VIe Concile se développait à partir des écoles théologiques  qu’on ne peut pas concevoir comme “magistrales” pour VIe s. (celles de Palestine et de Rome).  Toutefois l’orthodixie “archaïque” subsistait au-dehors de l’Empire (cf. au début du VIIIe s. la polémique antimonophysite de Constantin de Charran dont le thème central de l’existence de l’idiôme humain hypostatique  dans le Christ sera une alternative non moins orthodoxe au langage maximien. Ce seront SS.Nicéphore de Constantinople et Théodore le Stoudite qui le replaceront au nœud de la théologie orthodoxe, cette fois, en face de l’iconoclasme. 

[xlv] Soit-il possible que les monothélites  “classiques” aient été eux-aussi sensibles à l’existence d’un origénisme latent dans le milieu des partisans formels du Ve Concile Oecuménique? Nous inclinons de penser ainsi car cette idée-là semble instructive à trouver un fondement réel aux reproches de l’origénisme ou bien du manichéisme faites par les monothélites au St.Maxime. Cf., sauf  la “Vie” syriaque,  dans la Confession de Macaire d’Antioche (p.228.15-18; cf. 229.14-18 lat.): [...] ka‹ p‹ toÝtoij ¨pasi toŽj a†retikoŽj tØn ©rti toÝtoij parafužnta M§ximon tØn dusënumon metª tñn ¦sebñn maqhtñn aÜtoã, Ùj tØ manica’zein ka‹ »ˆptein tØ sñma Cristoã toã qeoã ½mñn Ó Ellhn dˆdaxe  ka‹ tØ dusseb¡j aÜtoã tÅj diairžsewj frÕnhma [...] (le thème du corps du Christ est bien celui d’Eutychios).

 

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